Lettres & langues,  Littérature russe

Le crocodile


Un événement extraordinaire ou ce qu’il s’est passé dans le Passage.

Cet animal prend toute son ampleur symbolique dans la nouvelle éponyme de Fédor Dostoeivski, qui nous invite à découvrir “le récit véridique sur la façon dont un monsieur, d’âge et d’aspect certains, fut avalé vivant par le crocodile du Passage.”

Saint-Pétersbourg. Ivan Matvévitch, sa femme Eléna Ivanovna, et son ami, le narrateur, se promènent voir l’attraction du moment : l’exposition d’animaux exotiques, dont un crocodile dans la galerie commerciale du Passage.  Cette bête attise l’effroi d’Eléna qui y préfère les singes, créatures plus “attachantes”, mais fascine Ivan Matchévitch qui s’approche bien trop près du glavial. Celui-ci l’avale en plusieurs bouchées, rendant la scène quelque peu tragi-comique : l’on s’estomaque face à la description d’Ivan ingurgité d’un seul tenant, dont la tête réapparaît dans un adieu ridicule, avant de disparaitre à nouveau dans les entrailles de la bête.

Choqués, le narrateur et Elena sont très vite interpellés par un élément étrange : Ivan communique à travers les aprois du crocodile. Englouti, il l’est certes, mort, il ne l’est pas : son hôte est d’ailleurs fort confortable … tant et si bien qu’il décide qu’il y est fort bien, et qu’il n’est pas nécessaire de le sauver. Mieux que cela, il deviendra un véritable spécialiste des crocodiles, pouvant analyser la bête de l’intérieur, il gagnera ainsi une renommée et un respect mondial, tandis qu’il dispensera de cette panse son savoir … Ses rêves grandiloquents le rend si impérieux, qu’il exige de son compagnon qu’il vienne lui faire une revue de presse chaque soir des journaux La Poix et Le Feuillet, détournements de deux organes de presse réels.

Il n’est pas le seul à cèder à la fièvre “crocodilesque” : sa femme, Eléna, y voit l’oppportunité de lui estorquer quelques sous (après tout n’a-t-il pas quitté le foyer conjugal ?) alors qu’il rêve de faire d’elle, une sorte de vestale des soirées littéraires … Mais on ne peut faire d’un âne un cheval de course, sa belle épouse mettant toute sa spiritualité au service de son avarice.

Quant au propriétaire du fantastique animal, après une réelle crise de panique face à cet engloutissement improbable, il voit désormais dans son crocodile, la poule aux oeufs d’or, celle qui lui permettra de venir immensément riche, en devenant une attraction incontournable de la ville …

Tout l’intérêt de cette fable philosophique réside dans sa critique avant-gardiste et caustique du capitalisme (n’oublions pas que cette nouvelle parut pour la première fois en 1860), qui corrompt ceux qui s’en approchent et exacerbent les passions envieuses et belliqueuses des hommes.

Le crocodile
Fédor Dostoeivski
Actes Sud. Collection Babel.
80 pages. 5,50€. ISBN : 2-7427-2767-1

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