Littérature autrichienne

Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme

de Stefan Zweig.

«Ceux qui tombent entraînent souvent dans leur chute ceux qui se portent à leur secours.»

Sous le ton de la confession, une vieille dame respectable livre ses souvenirs à un jeune homme.

En villégiature dans une maison de vacances sur la Riviera, ils sont tous deux, comme l’ensemble des pensionnaire sous le choc du départ impromptu de Madame Henriette, qui décidat de suivre son coeur plutôt que son rang. Faisant fi de son statut de femme mariée, celle-ci cède aux sirènes de la nouveauté et suit son nouvel amant. Villipendée et décriée, cette femme sans moralité réveille chez  Mrs C. de douloureux souvenirs … au grand étonnement du narrateur.

 

Cette étonnante Mrs C., qui garde l’anonymat, évoque ses premières années de veuvage, à 42 ans, lorsque face au décès de son mari, elle se résigne peu à peu à vivre une existence tranquille dédiée à l’éducation et aux soins de ses enfants. Ces derniers partis, face à elle-même, mais surtout face à ce vide laissé par la disparition de son mari, elle se laisse entraîner dans les tourbillons de la vie extérieure, au théâtre, en concert et au casino … Plaisirs fugaces de la vie en société qui marqueront un tournant dans sa vie de femme, qui se concentreront en vingt-quatre heures. Vingt-quatre heures d’une douce folie dont le venin se distillera des années encore après.
Fascinée par les joueurs, elle peut passer des heures, hypnotisée par leurs mains, à suivre les aléas du hasard. Jusqu’à la rencontre avec un jeune homme, dont le magnétisme et la ferveur, la trouble profondément, au point que cette tocade, l’emmèn bien plus loin qu’elle le soupçonnait dans la douleur.

Ayant une nouvelle raison de vivre, elle s’investit d’une mission : sauver ce jeune homme de son infortune, pécuniaire et morale. Mais dans cette démarche salvifique, elle se leurre.
” Jamais encore, je n’avais vu un visage dans lequel la passion du jeu jaillissait si bestiale dans sa nudité effrontée…. J’étais fascinée par ce visage qui, soudain, devint morne et éteint tandis que la boule se fixait sur un numéro : cet homme venait de tout perdre !….Il s’élança hors du Casino. Instinctivement, je le suivis… Commencèrent alors 24 heures qui allaient bouleverser mon destin ! ”

Sous un titre qui peut sembler peu alléchant pour les lecteurs redoudant un simple roman sentimental se cache un court roman centré sur l’addiction : addiction au jeu, addiction au service rendu à l’autre …  L’étude psychologique du jeune joueur invétéré réserve de belles descriptions de la frénésie, l’angoisse, la joie et le désespoir, de la gloire et à la richesse, à l’oubli et la pauvreté … Intime de Freud, le travail de celui-ci lui a certainement inspiré ou apporté de nombreuses clés pour la rédaction de cette confession, aux allures d’analyse. Le tour de force de Zweig est de faire passer toutes ces émotions à travers le corps même de son protagoniste : ces mains auxquelles nous sommes suspendus, sont le meilleur vecteur de son état d’esprit.

“Malgré moi je pensais à chaque fois à un champ de courses, où au moment du départ, les chevaux excités sont contenus avec peine, pour qu’ils ne s’élancent pas avant l’heure fixée : c’est exactement de la même manière que les mains de joueurs frémissent, se soulèvent, et se cabrent. Elles révèlet, par leur façon d’attendre, de saisir et de s’arrêter, l’individualité du joueur : griffues, elles dénoncent l’homme cupide ; lâches, le prodigue ; calmes, le calculateu et, tremblantes, l’homme désespéré. Cent caractères se trahisent ainis, avec la rapidité de l’éclair, dans le geste que l’on fait pour prendre l’argent, soit que l’un le froisse, soit que l’autre nerveusement l’éparpille, soit qu’épuisé un joueur, fermant sa main lasse, le laisser rouler librement sur le tapis. […] Je ne puis pas vous indiquer en détail, combien, pendant le jeu, il y a des milliers d’attitudes dans les mains, les unes bêtes sauvages aux doigts poilus et crochus qui agrippent l’argent à la façon d’une araignée, les autres nerveuses, tremblantes, aux ongles pâles, osant à peine le toucher, nobles et viles, brutales et timides, astucieuses et, pour ainsi dire, balbutiantes ; mais chacune a sa manière d’être particulière, car chacune de ces paires de mains exprime une vie différente, à l’exception de celles des croupiers, au nobre de quatre ou cinq.”

Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme
Stefan Zweig
Le livre de poche.
158 pages. 5 €. ISBN :  978-2-253-16281-0

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.