Compagnie K, de William March
– Quand j’ai levé les yeux ce matin-là et que je t’ai vu sur le sentier, ma première idée, ça a été de venir vers toi pour te donner un bout de pain. Je voulais te poser des questions sur l’Amérique. Il y avait des tas de choses dont on aurait pu parler. Tu aurais pu me parler de chez toi, et moi de chez moi. On aurait pu aller chercher des nids d’oiseaux dans les bois, on aurait ri et discuté ensemble. Et puis une fois qu’on se serait mieux connus, je t’aurais montré une photo de ma fiancée et je t’aurais lu des passages de ses lettres.
Il s’est tu et il m’a regardé.
– Pourquoi est-ce que je n’ai pas fait ce que je voulais faire ? Il a demandé lentement …”
Le soldat Manuel Burt croise au détour d’un chemin dans les bois, un soldat allemand, accroupi, en train de manger son pain noir. Leurs regards se croisent, ils s’observent ne sachant que faire, l’un tripotant son fusil avant que le second lâche son pain pour saisir son pistolet et que le combat au corps à corps ait lieu. Derrière ce jeune soldat se cache la voix de William March, ou plus exactement celle du soldat William Campbell, son nom civil. Car si William March est originaire de l’Alabama, il s’engage dans le corps des Marine en juin 1917 alors que la Première Guerre mondiale fait rage. Une fois débarqué en France, il est blessé et il participe avec sa compagnie à de nombreuses batailles, dont celles du Bois de Belleau et de Saint-Mihiel, qui lui valurent trois médailles militaires dont la Croix de Guerre. Trois médailles qui conserveront pour lui un goût amer, celui de la brutalité de cette guerre et des luttes au corps à corps, dont il ressortira profondément marqué, notamment après avoir tué un jeune soldat allemand face auquel il se retrouva soudain.
Véritable roman polyphonique, Compagnie K, nous fait entendre la voix des 113 soldats d’une compagnie, par des instantanés de vie, de leur préparation à leur arrivée en France, de l’enfer des tranchées au retour au pays ou encore d’outre-tombe. Des tranches de vies qu’il mit bout à bout, issues de son expérience de la guerre et des lettres qu’il envoya à sa soeur durant le conflit, sans tomber dans l’autobiographie. Car il y a un peu de lui dans chacun de ces hommes. Que ce soit le soldat Joseph Delaney qui ouvre le bal de ce livre et qui se dit “J’ai enfin fini mon livre, mais est-ce que j’ai accompli ce que j’avais entrepris de faire ?” ou le soldat Manuel Burt. Ces textes fragmentaires sont comme autant de miroirs de l’homme face à l’horreur et l’absurdité de la guerre. Il parle pour eux tous, tous ceux qu’il croisa : qu’ils soient un soldat inconnu mourant et réconforté par l’ennemi, un soldat brimé ou privé de sommeil et constamment sollicité, un soldat priant pour devenir aveugle et quitter cette maudite guerre, planqué, ou encore devant obéir à un ordre cruel et gratuit se rebellant ou s’exécutant … Tous nous livre leur part d’humanité à travers ces portraits, entamée par la réalité de ce que March appelait “le triomphe de la stupidité sur toute autre chose”.
Si William March est méconnu du public français, n’ayant eu jusqu’à présent qu’une nouvelle traduite, Graine de potence, la toute première édition française de Compagnie K met en lumière cet auteur qui reçut force récompenses miliaires et succès littéraire. Premier roman de March paru en 1933, Compagnie K acquit rapidement un retentissement équivalent au renommé “A l’ouest rien de nouveau” de l’Allemand Erich maria Remarque, tous deux partageant non seulement cette volonté de dénoncer les atrocités de la guerre, comme bon nombre d’oeuvres issues de cette littérature d’après-guerre, mais également un style vif, concis, cru et immensément réaliste, ne faisant pas de la guerre une matiére épique mais un instantané de cauchemars, de peurs, de vilenie et d’atrocités.
Pas de héros en perspective, juste des hommes face à l’inconcevable pensant faire le meilleur choix possible au moment où ils sont amenés à le faire, si encore ils ont le choix, la guerre les aliénant de toute liberté d’agir à leur guise, mais en un seul corps, une seule voix, un pays. Tuer ou se faire tuer. Tuer à la baionnette, au gaz, au pistolet. Se suicider ou se défiler aussi. Pour se sauver. March restaure leur individualité et leur rend hommage en leur laissant la voix, tout en veillant à la force du récit, enchevêtrant les histoires, exacerbant ainsi l’ironie. Ironie de la guerre, mais aussi ironie du mensonge patriotique à travers l’histoire de quatre soldats confronté à une question éthique : obéir et tuer gratuitement ou désobéir et se voir condammer au conseil de guerre ?
Pourquoi je refuse pas de faire ça ? je pensais. Pourquoi, on refuse pas tous ? Si on est assez nombreux à refuser, qu’est-ce qu’ils pourront faire ? … ” Et là, j’ai vu clairement la vérité : “On est aussi des prisonniers : nous sommes tous prisonniers … Non ! j’ai dit. Je ne le ferai pas !”
Tout ce en quoi on m’a appris à croire sur la miséricorde, la justice et la vertu est un mensonge, je me disais … Mais le plus gros mensonge de tous, c’est la phrase “Dieu est amour
C’est aussi un précieux ouvrage car il est à la fois un des rares témoignages américains sur la Première Guerre mondiale et une oeuvre dénonçant toutes les guerres.
A découvrir dès le 12 septembre.
Compagnie K
William March.
Edition Gallmeister.
288 pages. 23,10€. ISBN : 9782351780688