L’urgence et la patience, de Jean-Philippe Toussaint
Un livre doit apparaître comme une évidence au lecteur, et non comme quelque chose de prémédité ou de construit. Mais cette évidence, l’écrivain, lui, doit la construire.
Qu’est-ce que le travail d’un écrivain ? Comment naît un roman ? Chaque écrivain entre en littérature par des voies différentes, comme Jean-Philippe Toussaint, ébloui à 22 ans, par le magistral Crime et Châtiments de Dostoievski, luisant comme une lame tranchante.
Dans ce court essai, Jean-Philippe Toussaint nous fait entrer dans les coulisses de son oeuvre, de cette lecture révélation jusqu’à ses interventions dans les universités prestigieuses de Princeton et de New York, en passant par son admiration profonde et émouvante pour Beckett, qu’il put rencontrer au sein même des éditions de Minuit. e Leurs premiers échanges sont narrés avec une telle simplicité que tout le croustillant de la situation n’en est que plus tocuchant : Jean-Philippe, ayant terminé la rédaction de sa première pièce de théâtre invite Becktt à la lire par courrier …. mais emploie une manière fort peu classique : il lui propose une partie d’échecs épistolaire. Son audacieuse proposition « Au cas où, 1.e4″ reçut “Les noirs abandonnent. Envoyez la pièce. Cordialement.” »
C’est l’occasion d’une réflexion profonde sur la littérature et la création, fruit d’un labeur constant et protéiforme, qui évolue au fil des années : ainsi nous découvrons comment Jean-Philippe Toussaint s’astreignait à écrire chaque jour pendant un an pour écrire ses premières oeuvres, puis à changer de rythme, le livre pouvant jaillir après une longue période de murissement intérieur, tel “un rêve de pierre” selon la formule consacrée de Baudelaire. Un rêve qu’il faut tailler, ciseler chaque jour, alléger du superflu, peaufiner, comme un artisan. Ainsi épurés ses écrits apparaissent avec une confondante beauté simple et une profondeur saisissante.
Ce voyage dans le temps et l’espace créateur nous invite à croiser les figures tutélaires de François Truffaut, de Samuel Backett, de Kafka et Proust pour lesquels il voue une admiration sans faille, à croiser l’ombre d’une Olivetti sur lequel les premières pages furent composées, en petits caractères sur des pges compactes, pour n’avoir jamais de cesse de distiller le texte, en retirer la plus forte essence
Pour tous ceux qui souhaiteraient découvrir d’autres coulisses, vous pouvez vous plonger dans “La foi d’un écrivain”, de l’admirable Joyce Carol Oates, figure emblématique de la littérature américaine contemporaine. Dans ce recueil d’essais, rédigés sur plusieurs années, Oates s’interrogent sur le “métier” d’écrivain, mais aussi sur la posture du lecteur et de l’écrivain-lecteur : pourquoi écrivons-nous ? Pourquoi lisons-nous ? Comment lire en tant qu’écrivain ?
Contrairement à Jean-Philippe Toussaint, elle n’a eu de cesse d’écrire depuis sa tendre enfance, “Ca s’organisait entre la main et la page” comme disait justement Samuel Beckett, autre dénominateur commun de ces deux écrivains, avec l’humilité et la certitude que l’écriture est un travail de patience demandant énergie et persévérance. Car comme le “métier” de l’artisan, il est nécessaire de se pencher sur son ouvrage constamment …
L’Urgence et la patience
Jean-Philippe Toussaint.
Editions de Minuit.
106 pages. 11€. ISBN : 9782707322265
La Foi d’un écrivain.
Joyce Carol Oates.
Editions Philippe Rey.
157 pages. 14,50€. ISBN : 9782848760216