Autres littératures étrangères

Une Seconde vie, de Dermot Bolger

J’avais grandi dans un monde où la respectabilité était l’objet d’un culte général. Ivrognerie, violence domestique, n’importe quel péché était accepté, à condition de rester caché. Les couvents et les asiles étaient des lieux indispensables où ce qui pouvait salir la respectabilité était dissimulé ; des lieux dont on faisait semblant de penser qu’ils n’existaient pas, et non où on pouvait entrer et affronter les choses. Quand j’étais enfant, la grande peur de ma mère adoptive n’était pas la misère, mais la perte de respectabilité.

bolgerDublin, de nos jours. Sean Blake, photographe à la quarantaine fringante, époux et père de deux jeunes enfants, est victime d’un accident de la route. Alors qu’il est cliniquement mort, il survole la scène et croise d’étranges visages qui lui sont inconnus.  En Angleterre, au même moment, Elizaberth, une femme d’une soixantaine d’années, habituée à parcourir les rues à la recherche de son fils perdu, s’écrit que celui-ci, Francis, a eu un accident. Elle avait 19 ans lorsqu’elle fut contrainte de l’abandonner aux bons soins des soeurs Magda (Marie-Madeleine en anglais) et ainsi de s’offrir une seconde vie …

Dans ce récit croisé, Dermot Bolger explore la question plus que douloureuse des adoptions forcées en Irlande, au nom de la morale, des enfants enlevés à leurs mères jugées “pêcheresses”, souvent de jeunes filles, des mères célibataires, qui au lieu d’être assistées furent souvent exploitées puis renvoyées une fois l’accouchement et l’adoption réalisés. Ces abandons forcés furent si nombreux  que cette pandémie est devenue un “tabou collectif” dans la société irlandaise. En 2001, le film “Magdalene sisters” de Peter Mullan mit un pavé dans la mare en dépeingnant la vie dans ces couvents de charité, inspirés du “Rescue movement” du XIXe siècle. Ces institutions de charité, qui devaient être des lieux de passage pour leur permettre d’accoucher, furent plutôt des “prisons” pour jeunes femmes, orphelines ou mises au ban de leur famille, qui durent travailler à la rémission de leur pêchés en les lavant symboliquement en réalisant de nombreux travaux de blanchisserie. Elles bénéficièrent d’une notoriété certaine jusqu’aux années cinquante.

Une première version de ce roman fut éditée en 1993, sous le titre “Le ventre de l’ange”, mais Dermot Bolger préfèra le retirer de la vente, afin que de peaufiner et de perfectionner ce texte qui ne le satisfaisait pas. Ainsi expurgé et remodelé, Une seconde vie, demeure un roman fort et percutant, sur la quête de l’identité et la maternité : peut-on croître sans connaître se racines ? Est-on, naît-on déjà mère avant de le devenir ? Qu’est-ce que la paternité et la maternité, au-delà de la simple conception ? Quels liens puissants et invisibles relie une mère à son enfant ? Le passé de Sean se confond avec celle de sa nation, elle aussi blessée, meurtrie comme ces liens familiaux brisés. Dermot Bolger, romancier, poète et dramaturge, s’attelle comme nombre d’écrivains irlandais à dépeindre un portrait réaliste de son pays, loin des images évanescentes et romantiques, avec une approche passionnée mais néanmoins critique. Un livre fort, beau et bouleversant.

Une seconde vie
Dermot Bolger
Editions Joëlle Losfeld.
256 p. 21€. ISBN : 978-2-07-244985-7

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