Littérature scandinave,  Polars & SF

Millenium, Stieg et moi

millenium2.jpgSi la notoriété de la trilogie Millenium n’est plus à faire, beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur son défunt auteur qui laisse montrer une certaine méconnaissance ou un
regard restreint sur sa personnalité et ses engagements.
Car si Stieg Larsson connaît une gloire posthume aussi forte grâce à une trilogie envoûtante, il fut avant tout un journaliste engagé avant d’être un auteur plébiscité, plébiscite dont il n’aura eu nulle connaissance, puisqu’il est décédé subitement après avoir remis les trois fameux tomes à Nordstedts, qui suite à un manque d’effectif retournera les livres sans même les avoir lus !

Millenium, Stieg et moi remonte aux origines de Millenium, mais aussi de la légende Larsson. Elevé par ses grands-parents maternels dans la région de Västerbotten, une
région dure

et rurale où l’hiver la nuit domine excepté trois heures, où il profitera d’une enfance joyeuse et heureuse lors de laquelle lui seront transmises des valeurs qui l’accompagneront toute sa vie, comme l’hônneteté et la force de l’engagement.
C’est en 1972, qu’Eva et Stieg se rencontrent, à 18 ans, à l’occasion d’une réunion de soutien au Front National de libération du Vietnam. Le couple militant ne sera séparé qu’en 2004, à la mort de Stieg. Pendant ces trente-deux années, ils partagèrent projets, combats et quotidien. 1977 marque une année spéciale pour Stieg avec une voyage de près de six mois en Arique, voyage durant lequel il cherchera à couvrir le conflit en Ethiopie, seul journaliste suèdois sur place, mais sans succès. Ce voyage aura eu le mérite d’aguerrir sa plume, de confirmer son courage, sa prudence et son amour pour Eva. Dès son retour, ils décident de vivre ensemble.

Son parcours journalistique débutera avec l’agence TT, équivalent suèdois de l’AFP, qui le congédiera suite à une restructuration très douloureuse, après une vingtaine d’années de service. Comme dans de nombreux cas de licenciement massif, l’agence n’hésitera pas à tout d’abord dénigrer le travail de ses collaborateurs, dont Stieg. Cependant son travail ne se résumait pas seulement à son poste ! Activiste, il crée un journal dont le fonctionnement inspirera quelque peu le journal Millenium : la revue Expo. Cette création fait une suite naturelle à une première collaboration menée avec le mensuel britannique antifasciste, Searchlight. Avec la montée de l’extrême droite en Suède, il semble pour Stieg et Eva impératif de proposer une alternative équivalente dans la presse nationale.  Après trois numéros liés à l’association Stop Racisme, la direction choisit de la rendre autonome. C’est le début d’une aventure qui se perpétuera malgré le décés de son fondateur emblématique.

Cette aventure ne sera pas sans écueil, car Stieg signant rarement ses articles sous pseudonyme, il sera alors la cible de menaces, y compris de mort, qui le pousseront notamment à ne pas épouser Eva, le système suèdois offrant peu de protection des données personnelles (via notamment le service de police dédié aux passeports !) et des citoyens menacés (ce qui est évoqué dans le 3e tome).

millenium.jpgConnaissant ainsi cette vie active et surchargée, il est étonnant de voir qu’il lui fut possible de trouver le temps de créer une trilogie à l’intrigue aussi imbriquée et ciselée. Pourtant celle-ci comporte énormément d’éléments factuels, issus de son propre travail de recherche en tant que journaliste d’investigation, que du travail d’Eva, architecte, qui évolua dans le milieu immobilier tout au long de sa carrière : c’est ainsi que les lieux décrits existent vraiment ; et que l’enquête consacrée à la  fabrication des WC à peu de frais en Asie est inspirée de faits réels. Aussi l’aventure Millenium s’est forgée au fil du temps, à partir d’un court récit écrit quelques années plus tôt, puis  suite à des vacances en 2002 à partir de séquences plus ou moins étoffées qui ont été “cousues” “au fil de son envie et de son histoire”, comme l’explique Eva Gabrielsson :”Tu n’as pas quelque chose à écrire ? demandai-je.
– Non, mais j’étais en train de penser à ce texte que j’ai écrit en 1997 sur ce vieux monsieur qui reçoit une fleur chaque année à Noël. Tu t’en souviens ?
– Bien sûr !
– Je me disais que j’avais envie de savoir ce qu’il était devenu. ”

Ce court ouvrage permet de mieux comprendre l’imbrication forte dans Millenium des engagements et des convictions fortes de Stieg Larsson, comme la lutte contre la corruption, le feminisme, le défense d’un journalisme indépendant. Ces souvenirs montrent ces différents clins d’oeil entre la vie quotidienne et cette fiction, dans laquelle même si elle s’inspire du réel, Mikael Blomkvist n’est pas un avatar de Larsson. Enfin, il s’agit surtout d’un plaidoyer fort pour la défense des droits d’une concubine, de cette femme Eva, qui partagea pendant trente-deux années la vie de cet homme, qui livre toujours ce combat, alors que nombreux sont les intérêts croissants autour de cette oeuvre posthume au succès juteux.

Millenium, Stieg et moi.
Eva Gabrielsson, Marie-Françoise Colombani.
Editions Actes Sud.
185 p. 20€. ISBN : 978-2-7427-9449-2

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