Avenue des géants de Marc Dugain.
La nature ne connaît ni le silence ni le bruit. Ce n’est pas comme en ville, ce qu’on entend va toujours dans votre sens, celui de votre apaisement, pour peu que vous ayez confiance dans la vie sauvage.
Géant est un qualificatif incontournable. 2,20m, 120 kg, Al Kenner a un physique gargantuesque. Et ses capacités intellectuelles sont tout aussi gigantesques. Il possède une hypermnèsie et son QI dépasserait celui d’Einstein. Pas évident de bien vivre avec cela surtout quand on a quinze ans. Mais le mal-être profond d’Al ne s’expliquerait-il pas plutôt par la hargne de sa mère à son égard, contre ce fils qui est une “fausse couche” réussie ? Cette étrange “chambre” installée dans la chaudière, celle-là même dans laquelle Al brûlera un des chat de concours de sa mère. Mais Al fera pire, beaucoup pire.
Il va sans doute que le divorce de ses parents à l’âge de 13 ans n’arrangea pas une relation mère-fils plus que malsaine.
Envoyé chez son père à l’âge tendre, il met mal à l’aise sa belle-mère. Ne pouvant le garder pour cette raison auprès de lui, son père le renvoit chez ses grands-parents. Un profond sentiment de perte et d’abandon s’empare du jeune garçon, qui ayant tout le loisir d’observer et de décortiquer le comportement de sa grand-mère, comprend mieux le choix de son père en épousant une femme tout aussi castatrice. Ainsi donc sa grand-mère se situe à l’origine du mal. Ainsi donc une lente mécanique qui couvait depuis des années se met en place. Cela commencera par le meurtre de sang froid de ses grands-parents à 15 ans, d’abord la grand-mère puis le grand-père qu’il pense incapable de s’en sortir seul. Un sentiment de pitié ? Une vague émotion ? Non, un raisonnement froid et implacable, purement intellectuel. Ce double meurtre marque le début d’une “carrière” de tueur en série qui ne finira qu’avec l’ultime meurtre de sa mère …
Marc Dugain s’attaque à un mythe en décortiquant le chemin suivi par Ed Kemper dont Al Kenner est l’incarnation littéraire. Sous sa plume à la description méthodique, sans sympathie ou antipathie aucune, la personnalité complexe et trouble d’Ed Kemper refait surface, faisant naviguer le lecteur entre horreur et attendrissement pour ce gamin cassé par sa famille. Sans sombrer dans le voyeurisme et le glauque, avec la juste distance tel un chroniqueur, il donne la voix à celui qui permit paradoxalement à mieux comprendre le fonctionnement des serial killers. La justesse mais aussi l’économie des mots dans les moments forts sont le tour de force de ce roman percutant.
Avenue des géants.
Marc Dugain.
Editions Gallimard.
360 p. 21,50€. ISBN :978-2-07-013235-5
A voir !
Un entretien avec Marc Dugain sur le site des éditions Gallimard